Élisée Reclus – « Polygones éphémères »

Bonus de la vidéo « Changer le cours » d’A. Strid :
Polygones éphémères, citation de « L’homme et la terre » d’Élisée Reclus

Réalisation vidéo A. Strid

« l’héritage naturel de chaque homme dans quelque partie du monde que soit placé son berceau est antérieur à l’idée d’une patrie délimitée et c’est pur sophisme que de vouloir rattacher ses sentiments à l’existence des polygones éphémères que l’on a découpé sur la rondeur de la planète. »
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Élisée Reclus – Extraits

Préface du tome 1 de « l’Homme et la Terre » d’Élisée Reclus ed. 1905:

« (…)L’équilibre rompu d’individu à individu, de classe à classe, se balance constamment autour de son axe de repos : le viol de la justice crie toujours vengeance. De là, d’incessantes oscillations. Ceux qui commandent cherchent à rester les maîtres, tandis que les asservis font effort pour reconquérir la liberté, puis, entraînés par l’énergie de leur élan, tentent de reconstituer le pouvoir à leur profit. Ainsi des guerres civiles, compliquées de guerres étrangères, d’écrasements et de destructions, se succèdent en un enchevêtrement continu, aboutissant diversement, suivant la poussée respective des éléments en lutte.Ou bien les opprimés se soumettent, ayant épuisé leur force de résistance  : ils meurent lentement et s’éteignent, n’ayant plus l’initiative qui fait la vie ; ou bien c’est la revendication des hommes libres qui l’emporte, et, dans le chaos des événements, on peut discerner de véritables révolutions, c’est-à-dire des changements de régime politique, économique et social, dus à la compréhension plus nette des conditions du milieu et à l’énergie des initiatives individuelles. (…) »

«l’émotion que l’on éprouve à contempler tous les paysages de la planète dans leur variété sans fin et dans l’harmonie que leur donne l’action des forces ethniques toujours en mouvement, cette même douceur des choses, on la ressent à voir la procession des hommes sous leurs vêtements de fortune ou d’infortune, mais tous également en état de vibration harmonique avec la Terre qui les porte et les nourrit, le ciel qui les éclaire et les associe aux énergies du cosmos. Et, de même que la surface des contrées nous déroule sans fin des sites de beauté que nous admirons de toute la puissance de l’être, de même le cours de l’histoire nous montre dans la succession des événements des scènes étonnantes de grandeur que l’on s’ennoblit à étudier et à connaître. La géographie historique concentre en drames incomparables, en réalisations splendides tout ce que l’imagination peut évoquer.»

« l’Homme et la Terre » d’ Élisée Reclus- Tome VI chapitre 12 – ed.1905

« (…)De quels chants de triomphe en l’honneur du progrès n’ont pas été accompagnées les inaugurations de toutes les usines industrielles avec leurs annexes de cabarets et d’hôpitaux ! Certes, l’industrie amena de réels progrès dans son cortège, mais avec quel scrupule il importe de critiquer les détails de cette grande évolution ! Les misérables populations du Lancashire et de la Silésie nous montrent que tout n’a pas été progrès sans mélange dans leur histoire ! Il ne suffit pas de changer d’état et d’entrer dans une classe nouvelle pour qu’on acquière une plus grande somme de bonheur (…) »

«l’esclave, et l’on peut même dire, d’une manière générale, l’homme dont la vie a été réglée dès son enfance et qui n’a pas appris à établir nettement la comparaison entre deux états successifs très distincts de son milieu, s’accoutume facilement à la routine immuable de l’existence, si vulgaire soit elle : il peut vivre sans de plaindre, comme la pierre ou la plante hivernant sous la neige. Par l’effet de cette accoutumance dans laquelle le penser s’est endormi, il arrive souvent que l’homme libéré soudain de quelque servitude ne sait pas s’accommoder à la situation nouvelle : n’ayant pas appris à se servir de sa volonté, il regarde comme le bœuf vers l’aiguillon qui le poussait jadis au travail ; il attend le pain qu’on lui jetait autrefois et qu’il s’était habitué à ramasser dans la boue. (…)»

«(…)Prendre définitivement conscience de notre humanité solidaire, faisant corps avec la planète elle-même, embrasser du regard nos origines, notre présent, notre but rapproché, notre idéal lointain, c’est en cela que consiste le progrès.»

“Du sentiment de la nature dans les sociétés modernes” d’Élisée Reclus :

Texte de 1866, extrait de la revue « Écologie politique » n° 5, hiver 1993, et réédité par les « Cahiers Libertaires » de la CNT de Pau.

« (…)La question de savoir ce qui dans l’œuvre de l’homme sert à embellir ou bien contribue à dégrader la nature extérieure peut sembler futile à des esprits soi-disant positifs : elle n’en a pas moins une importance de premier ordre. Les développements de l’humanité se lient de la manière la plus intime avec la nature environnante. Une harmonie secrète s’établit entre la terre et les peuples qu’elle nourrit, et quand les sociétés imprudentes se permettent de porter la main sur ce qui fait la beauté de leur domaine, elles finissent toujours par s’en repentir. Là où le sol s’est enlaidi, là où toute poésie a disparu du paysage, les imaginations s’éteignent, les esprits s’appauvrissent, la routine et la servilité s’emparent des âmes et les disposent à la torpeur et à la mort. Parmi les causes qui dans l’histoire de l’humanité ont déjà fait disparaître tant de civilisations successives, il faudrait compter en première ligne la brutale violence avec laquelle la plupart des nations traitaient la terre nourricière. Ils abattaient les forêts, laissaient tarir les sources et déborder les fleuves, détérioraient les climats, entouraient les cités de zones marécageuses et pestilentielles ; puis, quand la nature, profanée par eux, leur était devenue hostile, ils la prenaient en haine, et, ne pouvant se retremper comme le sauvage dans la vie des forêts, ils se laissaient de plus en plus abrutir par le despotisme des prêtres et des rois. (…) »

“l’évolution, la révolution et l’idéal anarchique”, (1e éd. 1898) d’ Élisée Reclus :

« (…)Il est cependant des esprits timorés qui croient honnêtement à l’évolution des idées, qui espèrent vaguement dans une transformation correspondante des choses, et qui néanmoins, par un sentiment de peur instinctive, presque physique, veulent, au moins de leur vivant, éviter toute révolution. Ils l’évoquent et la conjurent en même temps  : ils critiquent la société présente et rêvent de la société future comme si elle devait apparaître soudain, par une sorte de miracle, sans que le moindre craquement de rupture se produise entre le monde passé et le monde futur. Êtres incomplets, ils n’ont que le désir, sans avoir la pensée ; ils imaginent, mais ils ne savent point vouloir. (…) »

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